15/09/2015
Sur l'intérêt à agir pour contester une autorisation d'urbanisme
Dans un arrêt du 10 juin 2015, le Conseil d'Etat a eu l'occasion de préciser les modalités d'application de l'article L. 600-1-2 du code de l’urbanisme.
Introduite par l'ordonnance n°2013-638 du 18 juillet 2013, cette disposition a pour objectif d'élever le degré d'exigence des juridictions administratives vis-à-vis de l'intérêt à agir des personnes physiques, et de limiter ainsi le contentieux des autorisations d'occupation du sol.
Elle complète notamment la règle posée par l'article L. 600-1-1 du même code, relative aux statuts des associations.
Aux termes de l'article L. 600-1-2 « Une personne autre que l'Etat, les collectivités territoriales ou leurs groupements ou une association n'est recevable à former un recours pour excès de pouvoir contre un permis de construire, de démolir ou d'aménager que si la construction, l'aménagement ou les travaux sont de nature à affecter directement les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance du bien qu'elle détient ou occupe régulièrement ou pour lequel elle bénéficie d'une promesse de vente, de bail, ou d'un contrat préliminaire mentionné à l'article L. 261-15 du code de la construction et de l'habitation. ».
Il résulte de cette disposition qu'il appartient à la personne physique de rapporter la preuve que les travaux projetés sont de nature à affecter directement les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance du bien qu'elle détient, qu'elle occupe régulièrement ou encore pour lequel elle bénéficie d'une promesse de vente, de bail ou d'un contrat préliminaire.
Or, il est peu aisé de mesurer le degré d'affectation directe par un projet de construction litigieux dont peut se prévaloir un requérant.
En l'espèce, les propriétaires de maisons construites à environ 700 mètres du terrain ont demandé l'annulation du permis de construire délivré par le préfet à une société ayant pour projet de construire une station de conversion électrique.
Par un raisonnement en trois temps, le juge administratif a voulu déterminer, à la fois le rôle du demandeur justifiant d'un intérêt à agir, celui du défendeur soulevant le défaut d'intérêt comme moyen d'irrecevabilité, et celui du juge administratif exerçant son contrôle au cas par cas.
Dans un considérant de principe, le Conseil d'Etat soutient tout d'abord qu'il appartient au requérant de « préciser l’atteinte qu’il invoque pour justifier d’un intérêt lui donnant qualité pour agir ». En ce sens, le requérant se doit de faire état de « tous éléments suffisamment précis et étayés de nature à établir que cette atteinte est susceptible d’affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance de son bien ».
Ensuite, le juge administratif énonce que le défendeur, souhaitant soulever une fin de non-recevoir pour défaut d'intérêt à agir du demandeur, doit « apporter tous éléments de nature à établir que les atteintes alléguées sont dépourvues de réalité ».
Enfin, il ressort du raisonnement que le juge de l’excès de pouvoir « doit former sa conviction sur la recevabilité de la requête au vu des seuls éléments versés au dossier par les parties, en écartant les allégations qu’il jugerait insuffisamment étayées. Le juge ne doit toutefois pas exiger du demandeur qu’il apporte la preuve du caractère certain des atteintes qu’il invoque ».
En conséquence, il appartient au demandeur de rapporter la preuve de l'atteinte aux conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance de son bien. Au surplus, le demandeur devra justifier de sa propriété ou de son droit d’occupation du bien lésé, ce qui se révèle n'être qu'une stricte application du nouvel article ainsi introduit.
Il résulte également d'un tel raisonnement que le critère de visibilité/proximité des constructions litigieuses ne suffit plus à justifier un recours en annulation contre une autorisation d'urbanisme.
En effet, le Conseil d'Etat estime que « les habitations respectives soient situées à environ 700 mètres de la station en projet et que celle-ci puisse être visible depuis ces habitations ne suffisent pas, par elles-mêmes, à faire regarder sa construction comme de nature à affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance des biens des requérants ».
Toutefois il poursuit son raisonnement en soulignant que les requérants « font également valoir qu’ils seront nécessairement exposés, du fait du projet qu’ils contestent, à des nuisances sonores, en se prévalant des nuisances qu’ils subissent en raison de l’existence d’une autre station de conversion implantée à 1,6 km de leurs habitations respectives ». La preuve d'une affectation directe était ainsi rapportée par le demandeur.
En revanche, le Conseil d'Etat relève que le défendeur « se borne à affirmer qu’en l’espèce, le recours à un type de construction et à une technologie différents permettra d’éviter la survenance de telles nuisances ». Ainsi, dès lors que le requérant a établi, de manière suffisamment crédible, les nuisances qu’il est susceptible de subir du fait de la construction, il apparaît difficile pour le pétitionnaire de lui contester, à moins d’être en mesure de démontrer concrètement et précisément que ces nuisances seront en fait très limitées, voire inexistantes.
Il semble donc opportun pour le requérant, plutôt que d’invoquer la co-visibilité avec la construction projetée, d’invoquer les nuisances qui émaneront du projet, qu’il s’agisse des nuisances sonores ou encore des difficultés de circulation et de stationnement induites par le projet, afin de démontrer son intérêt à agir et ainsi s’assurer de la recevabilité de son recours.
(Conseil d’Etat, 10 juin 2015, req. n°386121)
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